Composer pour les jeux vidéo

Composer pour les jeux vidéo

Pour composer pour les jeux vidéo, il faut y jouer et aimer ça, ça permet en tant que compositeur de se mettre à la place du héros, qui est le joueur.

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Interview d’Olivier Derivière

 

Quel a été votre parcours musical ?

J’ai commencé la musique à cinq ans, parce que mes parents m’ont forcé, on va dire. Ils ont eu la bonne idée de me mettre au conservatoire. J’ai étudié la percussion, le piano et le solfège. Ensuite, j’ai abouti mes trois cycles et au lieu de partir dans les conservatoires, les supérieurs, j’ai préféré m’orienter plus vers l’écriture. Et donc, tout ce qui est en composition, contrepoint classique.

Mais au final je trouvais que c’était un peu trop sclérosant et grâce à un concours, j’ai eu une bourse pour partir aux Etats-Unis, pour étudier là-bas, à Berklee. Et là-bas, j’ai étudié le jazz un peu, mais j’ai découvert que c’était riche aussi le jazz et que déjà, il fallait que je comprenne le classique, pour finalement rester pas mal de temps aux besoins de Symphony Orchestra, où là, j’ai étudié énormément l’orchestration.

Parce que j’ai eu la chance de pouvoir participer à toutes les répétitions, tous les concerts, avec la partition auprès des assistantes des grands chefs à l’époque. Voilà, ça a été ma formation globale en musique.

Qu’avez-vous appris de plus à Berklee par rapport à l’enseignement français ?

J’ai appris que c’était trop tard pour moi d’apprendre la musique comme les Américains. Parce qu’en France, on a la culture de la note et aux Etats Unis, ils ont la culture du son. C’est-à-dire qu’eux, c’est beaucoup plus vertical alors que nous c’est chacune des notes, de savoir d’où est-ce qu’elle vient et où est-ce qu’elle va aller. Donc, ça a été compliqué.

C’est pour ça que le jazz, bien que soit super intéressant, je me suis dit qu’il faut d’abord que je sache faire une chose après l’autre.

Est-ce vous qui orchestrez vos compositions ?

J’orchestre mes compositions. J’ai un assistant orchestrateur qui va me faire ce qu’on appelle les copistes, en fait. Et qui de temps en temps, va me dire : ah bah tiens là ! Pourquoi pas si, pourquoi pas ça… ! Mais oui, généralement, je fais les orchestrations moi-même.

Etes-vous plus à l’aise avec l’écriture orchestrale ou électronique ?

Je pense que l’orchestre, de toutes les façons, tel qu’il existait et existe encore aujourd’hui, va disparaître d’une manière naturelle. En tout cas pour ce qui est de la musique de jeu vidéo, de film, parce qu’on est en train de reproduire les orchestres avec des samples, avec des choses comme ça.

Je ne sais pas du tout comment les choses vont évoluer, mais de mon point de vue, je pense que la musique électronique, c’est vraiment le futur de la musique en tant que tel. Et ça passera par justement l’utilisation de sons orchestraux donc pas pris directement d’un orchestre live, peut être que ce sera de la modélisation d’orchestre.

Aujourd’hui, on est capable de modéliser un piano, de modéliser les trompettes, on est capable comme ça de créer des sons sans avoir à enregistrer le vrai instrument. Donc oui, j’aime beaucoup l’orchestre, mais l’orchestre qu’on entend par exemple au 19e siècle, tout ce qui le rappelle parce que beaucoup de personnes le reprennent au 20e siècle.

J’espère, en tout cas, qu’il va changer. Enfin, c’est le but de l’orchestre aussi, on ne va pas rester bloqué dans un format. Et la musique électronique, je me sens beaucoup plus à l’aise dans la musique qui allie les deux, que juste orchestrale ou juste électronique.

 

Avez-vous toujours d’autres projets en dehors du jeu vidéo ?

On me propose d’autres projets que des jeux vidéo mais c’est vrai que j’ai tendance, non pas à refuser, parce que je ne veux pas, mais refuser parce que je travaille dans le jeu vidéo. Et le jeu vidéo, c’est ma véritable passion. Et ça prend beaucoup plus de temps de travailler, en termes de musique, sur un jeu vidéo que sur un film.

Ça dépend des productions, on va dire, mais de la manière dont moi je travaille dans le jeu vidéo, c’est à dire très proche des développeurs pour que la musique soit très proche de l’action, il faut pour cela passer beaucoup de temps et donc ça empêche d’autres activités, par exemple la musique de films, la musique de pub.

Mais c’est pour moi pas un mal parce que je préfère justement me concentrer sur la musique de jeu vidéo.

Quelles sont les musiques que vous écoutez ?

Alors, ce que j’aime écouter comme musique, c’est l’electronica, très souvent. C’est de la musique électro et très douce, on peut citer Board of Canada, Keitel. Mais ensuite, il y a tout ce qui est la musique électronique de fond, celle de Chris Clark dernièrement qui fait des belles choses, Burial.

Mais mes références principales pour ce qui la musique électronique, c’est Aphex Twin, c’est un Anglais, c’est pour la composition globale. Peter Gabriel, aussi un Anglais et Dimitri Chostakovitch, qui lui est un bon compositeur russe de l’époque du début du 20ème siècle, enfin du début jusqu’en 75, je crois.

Et voilà, donc ces trois compositeurs sont ceux qui m’ont le plus influencé. Moins dans le côté électro c’est sûr, mais la clarté en fait, c’est ce qui est intéressant chez Chostakovitch, c’est que c’est très clair, ce n’est pas un gros son qu’il a, c’est beaucoup plus des thématiques très évidente avec une orchestration très simple, pas dans le sens où c’est bête, mais dans le sens où c’est très clair, c’est très énergiques. Et donc, ça m’a bouleversé comme musique. C’est une époque aussi, c’est la Russie Stalinienne.

Quels sont les compositeurs de jeu vidéo qui vous ont marqué ?

Les compositeurs qui m’ont marqué pour ce qui est du jeu vidéo, c’est le tout premier au-delà de Koji Kondo, qui avait fait les Mario et Zelda, qui reste quand même l’ADN pur du jeu vidéo, en termes de thèmes. Il y avait David Whittaker sur Amiga, qui avait fait la série, du moins le premier Shadow of the Beast, qui m’a vraiment bouleversé, mais vraiment, je pèse mes mots. Je suis rentré de là, la première fois, j’ai vu ça chez un ami, je suis rentré chez moi et j’ai dit à mon père : bon bah, sur un ordinateur, c’était l’Amiga, on fait des musiques plus belle que sur ta platine CD, donc ça m’avait vraiment marqué.

Ensuite, plus récemment, on va dire, il y a Martin O’Donnell pour ce qui est de Halo le premier, parce que la musique est très spéciale, elle est très identitaire, le thème est super efficace et surtout son travail sur le jeu est fabuleux. Sur halo 1, j’avais eu cette sensation : ça y est la musique de jeu vidéo avance. Et pour ce qui est des compositions, les très belles compositions de Jeremy Soule, c’est sa série dans The Elder Scrolls, qui sont vraiment magnifiques.

Alors lui, par contre, il n’est pas du tout connecté au jeu, ça l’intéresse pas de connecter sa musique aux jeux, mais c’est vrai que dans l’exploitation de ses musiques, c’est un jeu très contemplatif et lui, il a réussi à écrire des musiques qui soit ni trop envahissante, ni trop peu sans discours on va dire et donc c’est des structures de musiques avec des super jolis thèmes qui m’emportent à chaque fois que je les joue.

 

D’où vous vient votre influence américaine, très présente dans vos orchestrations ?

Disons que mon influence indirecte, c’est les années 80, tous ces films qui ont bercé mon adolescence et qui ont fait que, ben oui, j’ai été sensibilisé malgré moi à ces sonorités qui sont empreintes forcément de tous ces grands compositeurs : Tchaikovsky, qui ont été modernisées. Il y a eu beaucoup d’évolution là-dessus.

Parler de John Williams et puis ensuite tous les autres pour ne citer que lui. Donc ça, ça m’a bercé et ensuite c’est peut-être ça qui se reflète dans la musique, c’est à dire que oui il y a des passages qu’ils font à l’américaine parce que eux-mêmes ils se sont inspiré des russes ou de Chostakovitch, en l’occurrence, Star Wars, Holtz etc. Donc je pense que la différence entre les Américains et les Japonais, c’est la sensibilité, ce sont les cultures différentes.

J’aime bien la musique japonaise, par exemple pour Akira, ou par exemple quand Joe Hisaishi fait Totoro, la musique quand on voit l’arbre. Quand c’est vraiment japonais et qu’il y a cette identité japonaise, je la préfère à quand ils font justement du Ravel, du Debussy à plus savoir qu’en faire quand il y a une espèce d’exploitation, dont Ponyo, Wagner, c’est tellement ancré dans le classique-classique, que ça m’est étranger.

Mais les Américains, eux, ils ont plus en fait le côté punchy, l’énergie, qui me parle plus. J’avoue que je ne réfléchis pas quand j’écris de la musique.

Vous avez dit que le travail des compositeurs de jeux vidéo devrait être plus approfondi que sur les productions AAA ? Pouvez-vous préciser votre pensée ?

Donc beaucoup de personnes vont se dire, bon ben si jamais on prend un risque pour ce jeu-là, la musique en l’occurrence, on ne va pas prendre de risques et on va faire quelque chose qui a déjà fonctionné. Et l’un des avantages à devoir tout créer, c’est qu’on n’a pas de règles et le désavantage, c’est que tout est risqué.

Et pour trouver quelque chose qui a déjà fonctionné, ils ne vont pas regarder dans le jeu vidéo, ils vont regarder dans le cinéma. Auparavant, ils cherchaient des gens qui mimiquent des gens d’Hollywood. Et aujourd’hui, ils ont des budgets pour engager des gens d’Hollywood. Ou même quand ce n’est pas des gens d’Hollywood, ça peut être des gens qui n’ont aucune notion en fait, de ce qu’est un jeu vidéo.

Et ça, c’est un problème, c’est-à-dire qu’ils cherchent juste à avoir une musique qui ne va pas risquer leur jeu. Mais le compositeur en tant que tel, derrière, lui en tant que style j’entends, ils ne vont pas risquer d’aller comprendre comment le jeu fonctionne et pourquoi est-ce qu’il faudrait peut-être que la musique fonctionne différemment. Parce qu’on va dire que dans le cinéma, la musique parle beaucoup d’émotion. Dans le jeu vidéo, on va parler beaucoup de fonctions.

Aimez-vous jouer aux jeux sur lesquels vous travaillez ?

Alors, je joue toujours aux jeux pour lesquelles j’ai fait la musique, mais j’y joue bien avant qu’il y ait la musique dedans. Donc, le jeu, je le connais par cœur. C’est très souvent même, en étant moi-même regardant la musique de A à Z sur le jeu, je connais parfois le jeu aussi bien que le développeur. Parce que j’ai dû moi, faire attention de bien faire la bonne musique au bon endroit. Et une fois que le jeu sort, j’avoue que, peut-être, je prends quelques temps avant de jouer au jeu final et de pouvoir dans mon salon apprécier le travail où vous allez me dire : ah la la !

 

Pensez-vous que tous les compositeurs de jeux vidéo jouent aux jeux sur lesquels ils travaillent ?

Alors, je ne vais pas parler pour les autres, ce que je peux dire c’est que oui il y a quand même, comme je disais tout à l’heure, un écueil vis-à-vis du jeu vidéo et des compositeurs qui n’ont pas idée de ce que c’est qu’un jeu, déjà. Et d’ailleurs, quand ils travaillent sur un jeu, en l’occurrence, ils vont peut-être voir le jeu une fois, ils vont peut-être avoir des vidéos, ils vont peut-être avoir tout ça, ce qui est très bien et ce qui peut être largement suffisant pour le résultat.

Maintenant, moi, ce que j’encourage, c’est justement à ce que les compositeurs soient beaucoup plus actifs. J’ai rencontré des compositeurs qui sont actifs et qui ont envie de donner, mais il faut aussi que le développeur en face soit ouvert. Donc c’est vraiment un travail, un binôme qu’il faut mettre en place. Donc faute à personne, mais il faut que l’envie soit des deux.

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes compositeurs voulant se lancer dans le jeu vidéo ?

Beaucoup de gens me disent, mais comment est-ce que je peux faire pour travailler dans le jeu vidéo ? Il n’y a pas de loi, il n’y a pas de règle. Et ce que je dis très souvent : n’écoute personne, donc ne m’écoute pas. Mais, si jamais il fallait que je donne des petits conseils, sans pour autant qu’il faille m’écouter, je dirais qu’il faut jouer aux jeux vidéo, il faut aimer ça, parce que ça nous permet en tant que compositeur de se mettre à la place du héros, qui est le joueur.

Il ne faut jamais oublier que le personnage principal d’un jeu, c’est le joueur. Quand on regarde une vidéo sur YouTube et qu’on joue à ce jeu-là pendant cette même vidéo, on n’a pas du tout la même perspective parce que sur la vidéo, c’est joli, c’est marrant, il y a des ennemis, c’est rigolo les animations. Et quand on joue, tout ça disparaît, c’est du genre : oh j’ai plus de vie, il faut que je prenne de la vie. Donc voilà, la musique a une autre fonction.

Les jeunes compositeurs, il faudrait qu’ils apprennent ce qu’est le jeu vidéo en tant que tel et ensuite se servir de ça pour rentrer dans le milieu. Aujourd’hui, c’est quand même absolument génial de se dire que les indies prolifèrent dans le monde entier et qu’il y a énormément d’accès pour énormément de gens, à pouvoir expérimenter de nouvelles choses, c’est ce qui se fait. Donc moi, si j’étais de cette génération-là, je serais très enthousiaste et je me plongerais, corps et âme, jusqu’à ne plus savoir que faire de mes nuits quoi.

Est-ce qu’il y a plus de pression lorsque l’on travaille sur une très grosse production ?

La pression, elle existe toujours du moment que tu veux te la donner et elle disparaît du moment que tu ne veux plus te la donner. C’est-à-dire que la pression, c’est celle de fournir un bon travail, tout le monde le sait. Maintenant, la pression que je m’oblige, on va dire, c’est celle de fournir un travail, qui soit non seulement de qualité, mais surtout qui soit identitaire. C’est-à-dire de créer quelque chose qui ne soit pas adaptable sur un autre jeu ou un autre film.

A savoir si tu prends la musique de Remember me et tu la mets sur un autre jeu, tu risques d’avoir des problèmes. Donc, c’est ça la pression personnelle. Ensuite, la pression de l’éditeur, par exemple quand c’est Assassin’s Creed, ou quand c’est Remember me, ou quand c’est Alone in the dark, personne ne nous met la pression là-bas, parce qu’on a tous la pression tous ensemble.

On est une équipe et on veut que ça fonctionne et on est tous main dans la main, du moins, on essaye au maximum pour essayer d’avancer dans le bon sens et jamais personne, du moins de mon expérience, n’est venu me dire : mais ce n’est pas bien, etc…

Si il y a des choses qui ne fonctionnent pas, il y a une communication et puis voilà, ça s’est fait que ce soit pour les grosses productions comme pour les toutes petites productions, il n’y a pas de pression au-delà du fait qu’on a envie de fournir du bon travail, quel que soit le projet quoi.

Maintenant, moi, je ne fais que la musique, donc ceux qui font le jeu, il y a une pression quand même énorme sur les épaules des Game Director ou des producteurs, parce que : raison de budget, raison de résultats. Donc, là, c’est une pression différente, mais que moi, je n’ai pas.

 

Serez-vous aux commandes de la musique du prochain Assassin’s Creed ?

Le milieu du jeu vidéo est un milieu très particulier. On peut regarder par exemple Jesper Kyd, il a fait le 1, il a fait le 2, il a fait Révélation avec Lorne Bafle et le 3 il n’était plus dedans. Donc, après, il y a des bonnes raisons, de mauvaises raisons, je ne peux pas le dire, dans le sens où je ne sais pas.

Pour ce qui me concerne, ils m’ont appelé pour Freedom Cry, pour des raisons qui étaient les leurs, à savoir de ce que j’ai cru comprendre, ils savaient que moi j’avais une patte particulière, une identité que je pouvais amener en plus, j’avais déjà fait les choses vocales et ils voulaient un peu les choses vocales donc, tout ça faisait que.

Peut-être que le prochain, ils me rappelleront, je ne peux pas le dire. Le prochain, on sait que c’est la révolution française mais peut-être qu’ils ont envie d’un style électro, j’en sais absolument rien et qu’ils se disent que moi, je ne fais pas d’électro, comme certains, je ne peux pas le dire.

Il semblerait que dans le jeu vidéo japonais, les compositeurs sont plus souvent affiliés aux séries, votre avis ?

Ça dépend des jeux, je vais te dire. Tu prends Dead Space, ou tu prends Halo, c’est toujours les mêmes compositeurs, Jason Graves pour Dead Space, Martin O’donnell pour Halo, je pense que c’est une question de culture aussi, par l’éditeur. C’est-à-dire que certains éditeurs vont vouloir changer parce qu’il faut rafraîchir la franchise, il n’y a pas vraiment de règle quoi.

Moi, je serais plus d’avis de garder le même compositeur du moment que le jeu, en fait, a une cohérence d’un épisode à un autre. Je pense qu’Assassin’s Creed, il n’y a jamais eu ça, à savoir une identité, genre les assassins. Ils n’ont jamais créé, du moins musicalement, quelque chose qui était identitaire des assassins. Ça a été le premier Altaïr, on avait un peu ce melting-pot de couleur. Ensuite, on a eu le second avec Ezio où on a eu un thème, qui était un très joli thème. Et puis ensuite, Ezio a disparu, on a eu Edward Kenway, enfin Connors avec un nouveau thème, etc.

Voilà, je pense qu’il n’y avait jamais eu cette cohérence voulue par l’éditeur, à partir de là, qu’il change de compositeurs, pourquoi pas.

Dans Alone in the Dark, il y a des chants bulgares, est-ce que c’est vous qui en aviez écrit les paroles ?

Alors pour ce qui est des paroles d’Alone in the Dark, ça a été un peu comme pour tout, c’est le far-west. Quand tu ne sais pas ce que tu fais et donc tu tires n’importe où. Et j’ai mis sur un forum bulgare en France : cherche un traducteur. Et concours de circonstances, une amie d’une amie qui avait vu le forum a proposé une personne qui s’appelle Irina Zhekova, qui s’appelle Iré de son nom de scène maintenant et qui elle, en fait, est Bulgare.

Quand je l’ai rencontré, je lui ai parlé du projet et elle m’a dit, mais tu sais, je peux t’écrire des poèmes, en fonction du jeu. Et donc je lui dis que c’est encore mieux parce que : pourquoi moi, je devrais écrire des textes qu’elle devrait traduire, plutôt que elle directement ? Parce que, non-seulement elle est native de la Bulgarie, mais en plus, elle avait une connaissance de la langue bulgare ancienne. Donc ça m’intéressait énormément, par rapport aux propos du jeu. Donc, elle a créé tout le texte qui est en fonction du jeu et qui raconte l’histoire.

En fait, ce n’est jamais descriptif en rapport au jeu, c’est beaucoup plus poétique, philosophique, mais ça a un rapport direct avec le jeu, sur la perte d’identité, sur les cendres de la ville de New York, sur toutes ces choses-là. Et qui ont fait que ça a donné une dimension assez particulière, c’est-à-dire que les Bulgares, eux même, pensent que c’est des chansons ancestrales bulgares, alors qu’elles ont été écrites en texte et musique spécifiquement pour le jeu.

On retrouve beaucoup de sonorités sombres dans votre musique, est-ce un aspect qui vous définit ?

En gros, mon portfolio c’est plutôt des jeux sombres, c’est vrai, des jeux où ça va être, soit de l’horreur pure, soit de l’action aventure sombre, soit de l’émotion plutôt sombre comme pour Assassin’s Creed. Remember me, c’est vrai que c’est un peu les deux, mais bon, c’est négatif positif, c’est corrompu, on va dire ça comme ça, je pense que c’est quelque chose qui moi me parle musicalement.

Je ne peux pas te dire que je fais exprès, c’est les harmonies un peu dissonantes, les choses comme ça qui me mettent à l’aise. Maintenant, quand je fais Rayponce pour Disney, à aucun moment je me dis : je suis frustré, je ne fais pas quelque chose de sombre, non je m’éclate tout autant. Souvent, les gens disent, c’est quoi ton style ?

Les gens imaginent que John Williams, son style, c’est le style John Williams. Mais, avant qu’il ait fait Star Wars, E.T., il a fait énormément de choses qui n’étaient pas du tout dans ce style-là quoi. Et c’est ce qui l’a fait connaître, qui a fait connaître ce style, qui a fait en sorte qu’on ait dit que c’était son style, parce que c’est ce qu’on lui a demandé après de faire.

Donc, moi si demain, je dis n’importe quoi, mais je fais le prochain jeu vidéo le plus Happy au monde, genre Little Big Planet, version super méga happy et que ça devient un super Hit et que tout le monde me dit : ce style, c’est génial, on aimerait que tu le refasses, les gens diront que c’est ça mon style. Donc, je considère qu’aujourd’hui, j’ai fait des jeux qui sont sombres, mais si demain, je fais un hit avec quelque chose de happy et ben les gens diront : ah, bah, tu fais de la musique happy.

 

À vos débuts, vous faisiez beaucoup de sound design. Pourquoi vous n’en faites plus ?

En fait, il y a un moment donné où on te demande de faire beaucoup de choses. On te demande de faire de la musique et les gens imaginent qu’être compositeur, c’est savoir composer, mais ensuite, c’est savoir enregistrer, c’est savoir mixer, c’est savoir masteriser, c’est savoir éditer. C’est faire énormément de choses : livrer des fichiers, découper….

Déjà un compositeur ne sait pas faire tout cela normalement, mais on nous demande de faire tout cela donc on doit apprendre. Sound designer, c’est un peu pareil, c’est à dire que de mon temps, on va te demander d’écrire un son, de l’intégrer, de faire quelque chose de cohérent avec eux.

Il y a beaucoup de travail et c’est un vrai métier que d’être sound designer, de savoir créer un son, ce n’est pas à les prendre dans une banque de sons, un bruit de pas et le mettre dans un jeu vidéo. Non, c’est aller créer le bruit de pas, qui va être identifiable, pour justement créer cette identité pour le jeu. Donc, c’est un vrai métier autant que compositeur.

Si au début, moi j’ai commencé ma carrière en me faisant tout, parce qu’on me demandait tout, parce que les moyens n’étaient pas là pour payer plusieurs personnes, mais aussi parce que la nécessité de qualité n’était pas encore là, aujourd’hui je pense que je me suis moi orientée uniquement musique, pour fournir au maximum que je peux, le meilleur résultat.

Et si je devais faire du sound design, en parallèle, ce serait quelque part me disperser et ne pas savoir faire aussi bien les choses. Par contre, être sound designer aujourd’hui, c’est super intéressant. Parce qu’autant auparavant, le sound design, on n’avait pas beaucoup d’outils dans le jeu vidéo pour faire des choses intéressantes, autant aujourd’hui, on a des supers outils.

On voit les mecs de Battlefield, pour ne citer qu’eux, qui font un sound design de fou sur le jeu. Voilà, je pense qu’il y a une complémentarité entre les deux métiers, on les met souvent en opposition parce que oui il y a la guerre de territoire aussi, le son et la musique mais je pense qu’il y a une très belle complémentarité à trouver entre les deux corps de métier pour, justement, qu’un jeu vidéo ait une identité particulière.

Interview d'Olivier Derivière

Un grand merci à Olivier Derivière.

 

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